Répercussions de nos choix alimentaires sur les animaux
Ceci est une traduction d’une page en anglais sur notre site, «Effects of Diet Choices on Animals.»
De nombreuses organisations de défense des animaux veulent réduire la souffrance animale et s’opposent aux préjugés spécistes en préconisant une réduction de la consommation individuelle de produits d’origine animale, la viande en particulier. Ces organisations adoptent diverses tactiques fondées sur le principe selon lequel un monde abritant davantage de végétaliens, végétariens et semi-végétariens serait un monde meilleur pour les animaux. Nous examinons ce principe ci-dessous, en analysant le résultat final de l’élimination des produits d’origine animale de notre régime alimentaire.
- Les animaux souffrent du régime alimentaire américain typique
- La structure de notre économie diminue le rôle du choix personnel
- Les choix alimentaires individuels ont quand même des effets significatifs sur les animaux
- La plupart des végétariens ne le restent pas toute leur vie
- Certains individus deviendraient végétariens de leur propre initiative
- Les interventions entraînant un changement de régime alimentaire provoquent d’autres effets
- Conclusion
- Références
Le régime alimentaire américain typique entraîne de la souffrance chez les animaux
Notre société ignore ou refuse de reconnaître toutes sortes de souffrances animales, dont beaucoup sont causées directement par l’activité humaine et dont la plus visible est celle subie par les animaux élevés pour la production de viande. La majorité des Américains, même parmi ceux qui se déclarent végétariens, consomment de la viande régulièrement. Il en résulte que de nombreuses bêtes souffrent dans la filière agricole industrielle, avant d’être finalement abattues. Pour mesurer les effets des interventions de communication anti-carnivore visant à changer nos habitudes alimentaires, il faut comprendre combien d’animaux sont tués dans l’industrie alimentaire.
L’USDA (Ministère de l’Agriculture des États-Unis) établit des statistiques complètes sur les principaux secteurs de l’industrie agricole animale, et en combinant celles-ci à des données démographiques, il est possible de savoir combien d’animaux terrestres sont tués chaque année aux États-Unis, par habitant. Harish Sethu, membre de l’organisation Counting Animals, a effectué ces calculs en utilisant des données de recensement sur les Américains végétariens ou quasi-végétariens. Cela lui a permis de déterminer le nombre d’animaux abattus à cause du régime alimentaire de l’Américain moyen, omnivore, qui consomme de la viande quasiment tous les jours. Sethu a découvert que cet Américain moyen consomme environ 30 animaux terrestres par an, dont 28 poulets.
Les statistiques détaillées étant moins disponibles pour les animaux aquatiques que pour les animaux terrestres, et les poissons et crustacés d’élevage étant souvent principalement nourris de produits dérivés de poissons sauvages, il est plus difficile de déterminer le nombre de poissons et crustacés tués à cause du régime alimentaire américain typique. Pour ce qui est des poissons élevés aux États-Unis, l’USDA dispose de quelques statistiques similaires à celles portant sur les autres animaux d’élevage, mais du fait qu’environ 91% des fruits de mer consommés aux USA sont produits à l’étranger, ces données piscicoles ne sont pas aussi représentatives que les données sur le bétail et la volaille. Sethu estime que l’Américain moyen mange un peu plus d’un poisson d’élevage par an, mais cause la mort d’environ 224 poissons sauvages utilisés soit pour la consommation directe, soit pour nourrir les poissons d’élevage. Il a également calculé que cet Américain mange environ 151 crustacés par an, essentiellement des crevettes. À l’aide d’une méthodologie légèrement différente et de chiffres bien plus prudents pour le calcul des quantités de poissons sauvages utilisés dans l’alimentation des poissons d’élevage, ACE estime que l’Américain moyen consomme annuellement 3.93 ou 7.8 poissons d’élevage – causant en tout la mort de 46 à 79 poissons – et environ 186 crustacés, encore une fois essentiellement des crevettes.
En combinant toutes ces données, on estime qu’aux États-Unis un omnivore typique provoque la mort de 262 à 406 animaux chaque année. Un ovivore entraînera la mort de deux poules de réforme, et 30 lactivores entraîneront la mort d’une vache laitière, qui sera abattue lorsqu’elle ne donnera plus de lait.1 À titre de comparaison, chaque année, un animal environ est tué ou utilisé en laboratoire pour 15 Américains. Moins nombreux encore sont les animaux tués annuellement pour leur fourrure : approximativement un animal pour 100 consommateurs américains. Les bêtes sauvages victimes collatérales de la production alimentaire végétale sont plus nombreuses, mais elles ne représentent malgré tout qu’environ 0,3 animaux par an pour un végétalien (qui consomme donc directement une quantité maximale d’aliments à base de plantes). Globalement, la consommation de viande par la société humaine nuit directement à beaucoup d’animaux. Moins peut-être que le réchauffement planétaire et la destruction des habitats naturels, mais il faut souligner la contribution importante de l’agriculture animale industrielle à ces phénomènes.
La structure de notre économie diminue l’impact du choix personnel
Les conséquences de nos décisions alimentaires sur les animaux sont habituellement invisibles dans notre société. Une filière économique complexe de magasins, usines de transformation et fermes se dresse entre l’Américain lambda et les morts causées par ses choix d’alimentation. Cela lui permet de faire du tort aux animaux à une très grande échelle tout en se souciant du bien-être de ceux qu’il rencontre. L’effet des choix individuels sur les animaux de ferme s’en trouve lui aussi réduit, car il est impossible de dire précisément que tel ou tel est sauvé du système de production alimentaire quand quelqu’un décide de renoncer à la viande.
Certains affirment que les choix alimentaires individuels n’ont pas d’effet véritable sur les animaux, la logique de cet argument étant que la décision d’un seul consommateur de renoncer à la viande sera noyée dans la masse, et ce dès le niveau du supermarché local : ce n’est pas parce qu’un client cesse d’acheter des hot-dogs que son supermarché devra en commander moins ; par conséquent, le nombre de hot-dogs produits et le nombre d’animaux ayant souffert de ce processus ne seront pas modifiés.
Cet argument, cependant, ne tient pas compte du fait que, bien qu’un seul consommateur de hot-dogs n’affecte généralement pas les commandes en gros d’une grande surface, il sera logique pour celle-ci à un moment donné de commander une caisse de ce produit en moins si un certain nombre de clients se sont abstenus avant lui d’en acheter. Dans ce cas, le nombre de hot-dogs non commandés sera bien supérieur au nombre de hot-dogs que le client en question aurait lui-même consommés. C’est pour cela qu’en moyenne une personne qui cesse d’acheter de la viande peut s’attendre soit à ce que son supermarché réduise ses commandes de viande d’une quantité équivalente à celle précédemment consommée par cette personne, soit à ce que le magasin baisse ses prix.
Le même phénomène s’observe entre le supermarché et son distributeur, entre le distributeur et les usines de traitement et entre les usines et les éleveurs. Bien que la longueur de la chaîne alimentaire ait tendance à brouiller le message, le renoncement à la viande par une seule personne retentit sur tout le système. En fin de compte, moins d’animaux sont élevés pour produire de la viande.
Néanmoins, ce n’est pas parce qu’une réduction de la demande de viande se répercute sur l’ensemble du système que la production chute d’un niveau égal au nombre de produits précédemment consommés par les personnes devenues végétariennes. Avec moins d’acheteurs de viande sur le marché, les prix baissent, ce qui pousse d’autres clients à en acheter plus. Curieusement, cette chute des prix réduit elle aussi la production et la consommation de produits carnés, mais pas d’autant que du nombre de produits anciennement consommés par les « carnivores repentis ».
Les économistes peuvent estimer la réduction de production de chaque article dont la demande disparaît pour des raisons autres que le prix. C’est ce qu’ils appellent le facteur d’élasticité cumulative. Pour réaliser ces estimations, ils compilent des données sur les prix, la production et la consommation, et créent un modèle économique permettant d’interpréter leurs observations. Par exemple, si une personne qui mangeait 10 hot-dogs par an décide de ne plus en consommer du tout et qu’il en résulte une production de 6 hot-dogs en moins, le facteur d’élasticité cumulative observé sera de 6/10, soit 0,6.
Il n’est pas facile d’accéder à des calculs de ce facteur pour la viande en général, car les économistes ont tendance à se concentrer sur de plus petits segments de l’industrie tels que le bœuf ou le poulet. Même quand ces calculs sont disponibles, ils ont tendance à varier grandement. Par exemple, ACE utilise des estimations du facteur d’élasticité cumulative situées entre 0,06 et 0,7 pour le poulet et entre 0,15 et 0,62 pour le poisson.
Les choix alimentaires individuels ont quand même des effets significatifs sur les animaux
L’ensemble des résultats décrits dans les sections précédentes permet de conclure que la conversion d’une personne au végétarisme a des effets perceptibles sur les animaux.
Quand une personne consomme trente animaux terrestres en moins chaque année, de 1,8 à 21 animaux en moins sont élevés pour la viande. À des fins de simplification, ces chiffres ont été obtenus en utilisant la plage d’élasticité pour le poulet. Un calcul appliquant une élasticité différente pour chaque espèce produirait des résultats très similaires, car les poulets constituent la majorité des animaux terrestres abattus chaque année pour l’industrie alimentaire.
Quand un individu consomme, directement et indirectement, 232 poissons et crustacés en moins chaque année, de 35 à 144 animaux sont épargnés. Pour obtenir ces chiffres, nous avons utilisé les statistiques de consommation réunies par ACE, en nous contentant, afin de simplifier, de la plage d’élasticité pour le poisson.
Même avec une estimation prudente, 36 par exemple, épargner la vie de 36 animaux n’est pas négligeable. Mais il faut bien sûr être prudent quand on parle de « vies épargnées ». Les poissons et fruits de mer sauvages sont réellement épargnés, car ils peuvent alors évoluer sans interférence humaine. Leurs vies pourront quand même être courtes et remplies d’une souffrance considérable, mais elles seront nécessairement un peu plus longues. L’expérience des animaux d’élevage est différente. La plupart sont élevés par les humains pour l’alimentation. Dans certains cas, quand cesse la demande d’un aliment particulier, la vie des animaux concernés est raccourcie et se termine par une mort douloureuse, car les éleveurs cherchent alors à mettre fin à leurs responsabilités envers leur bétail. Dans la plupart des cas, toutefois, la demande ne disparaît pas d’un bloc ; les animaux concernés sont vendus à des prix légèrement inférieurs à la normale, et un nombre légèrement inférieur d’animaux sont élevés pour les remplacer. Les animaux « épargnés » n’existeront simplement plus. Ne pouvant faire l’expérience directe de la non-existence ou de l’existence d’un poulet, on peut avoir des doutes sur ce qui serait préférable pour lui, mais au vu des souffrances extrêmes et continues infligées par l’agriculture industrielle moderne, il est plausible que pour cet animal il ait été préférable de ne pas naître.
La plupart des végétariens ne le restent pas toute leur vie
Jusqu’à présent, nous avons présenté les effets de nos choix alimentaires sous forme de résultats annuels. Pourtant, la plupart des efforts de sensibilisation au végétarisme ou au végétalisme ne sont pas structurés pour convaincre les gens d’adopter ce nouveau régime par tranches d’un an. Les organisations cherchent plutôt à changer opinions et régimes alimentaires au moyen soit d’un contact unique, soit de plusieurs contacts répétés sur une courte période. Après cela, elles espèrent que les convertis resteront végétariens ou végétaliens, voire qu’ils s’impliqueront dans la défense des animaux, mais elles ignorent généralement les résultats de leurs actions et n’ont que peu d’influence sur ce qu’il adviendra. C’est pourquoi les interventions ne produisent pas vraiment ce que les statisticiens appellent des « années-de-végétarisme » (c’est-à-dire le nombre d’années pendant lesquelles un « converti » reste végétarien), mais plutôt des « événements-de-conversion-au-végétarisme » (c’est-à-dire le nombre de fois que quelqu’un décide de devenir végétarien). En principe, ces événements-de-conversion peuvent se traduire par un nombre d’années-de-végétarisme susceptible de varier d’une intervention à une autre.
En réalité, nous disposons de diverses études suggérant que les végétariens (auto-déclarés) le restent en moyenne entre 3.4 et 7.4 ans. Aucune de ces études a suivi un groupe de nouveaux végétariens après une intervention. L’éstimation de 7 ans vient d’une étude qui a pris ces donnés d’un groupe représentent la population générale, demandant à ceux qui sont présentement végétarian ou qui étaient végétarian dans le passé quelle était la durée de leur végétarisme. C’est donc possible que les participants à ces études ne se souviennent pas parfaitement la durée de leur végétarisme. Mais, il n’est pas probable que les participants à ces études aient été végétariens pendant une période exceptionnellement longue ou courte.
Étant donné que les études ne s’intéressaient pas de près aux raisons pour lesquelles les sujets étaient devenus végétariens, il nous est impossible de les utiliser afin de savoir quelles interventions ont les effets les plus durables. Malgré ça, nous pouvons toutefois être relativement certains que la majorité des interventions entraînant des événements-de-conversion au végétarisme ont des effets qui durent en moyenne plus d’un an. Pour chaque personne déclarant avoir commencé à s’abstenir de viande, de poisson et de fruits de mer, les organisations peuvent s’attendre à ce qu’au moins 36 animaux soient sauvés, plus vraisemblablement au moins 252. Cependant, elles ne peuvent pas présumer que le nouveau végétarien le restera jusqu’à la fin de ses jours, continuant ainsi à sauver un minimum de 36 animaux par an.
Certains individus deviendraient végétariens de leur propre initiative
Nous modifions régulièrement notre régime alimentaire pour des raisons pas nécessairement liées à une intervention, ou à une quelconque préoccupation pour les animaux. Certains groupes d’individus ont notamment tendance à modifier leurs habitudes alimentaires pour des raisons de santé, par souci d’écologie ou simplement à la suite de changements survenus dans la vie de ces individus. En particulier lorsque ces groupes sont délibérément ciblés (par exemple les jeunes femmes, chez qui la pratique du végétarisme est relativement élevée), tous les changements de régime attribués à l’intervention ne lui sont pas nécessairement dus. Certains se seraient produits de toute façon.
Le meilleur moyen de compenser ce facteur dans nos estimations de l’efficacité d’une intervention donnée est d’utiliser un groupe de contrôle lors du calcul du nombre d’individus ayant modifié leur régime suite à cette action. Si certains membres du groupe de contrôle mangent moins de viande, cela nous permet de déduire qu’un pourcentage équivalent de sujets ciblés par l’intervention aurait probablement agi de façon similaire, même sans cette dernière. En l’absence d’un groupe de contrôle, il nous faut d’autres moyens pour estimer dans quelle mesure l’effet observé est dû à des tendances de fond plutôt qu’à l’intervention.
Les interventions entraînant un changement de régime alimentaire provoquent d’autres effets
Très souvent, les actions entraînant des conversions au végétarisme ont des conséquences supplémentaires, difficiles à mesurer. Si les arguments en faveur de la modification du régime sont axés sur des thèmes tels que les droits des animaux, il est raisonnable de s’attendre à ce qu’ils provoquent chez les « convertis » un certain inconfort vis-à-vis de l’utilisation d’animaux en général, pas seulement alimentaire, pour le bénéfice de l’être humain. Selon la force du message, certains auditeurs seront amenés à agir en faveur des animaux, cette action pouvant aller de la communication à leurs amis et proches des idées nouvellement acquises jusqu’à l’adhésion à un organisme de protection des animaux. La diffusion d’idées et de comportements étant difficile à mesurer, il se peut que lorsqu’une intervention contribue à la modification de l’alimentation aussi bien qu’à la diffusion d’idées et de comportements, ses effets sur le régime soient les plus faciles à prouver, mais qu’elle soit néanmoins également utile à la diffusion d’idées et de comportements.
Un changement d’alimentation peut être accompagné d’un changement d’idées et de comportements. Plusieurs enquêtes ont révélé que les végétariens qui le sont devenus principalement pour une raison donnée finissent souvent par soutenir d’autres arguments en faveur de leur nouveau régime : le néophyte convaincu par l’argument santé sera parfois plus réceptif à un plaidoyer en faveur du bien-être animal, et celui qui a été convaincu par l’argument des droits des animaux pourra se laisser convaincre des effets bénéfiques du végétarisme sur la santé.2 Cette corrélation, particulièrement chez les végétariens qui le sont devenus pour des raisons non liées aux animaux, est corroborée par des études scientifiques montrant que les sujets sont émotionnellement et moralement moins sensibles à la condition animale quand ils s’apprêtent à manger de la viande ou quand les bêtes sont décrites en termes de nourriture.
Cependant, les changements de comportement ne sont pas toujours entièrement positifs. Quand des végétariens pensent déjà contribuer suffisamment à la défense des animaux en refusant de manger de la viande, il est possible qu’ils aient moins tendance à prendre des mesures supplémentaires potentiellement plus efficaces. Cela n’est toutefois pas démontré. Certaines études, réalisées dans d’autres contextes, ont suggéré qu’une fois son identité morale affirmée, l’être humain est moins enclin à agir plus. Cependant, d’autres études suggèrent le contraire. Les effets semblent dépendre du contexte et, sans enquête spécifique, il est impossible de savoir lequel de ces schémas décrirait le mieux le comportement des végétariens et autres défenseurs des animaux.
Conclusion
La plupart des interventions visant à modifier nos habitudes alimentaires représentent un moyen très économique d’aider à court terme les animaux, mais leurs effets directs sont éphémères, et plus difficiles à mesurer qu’il semble à première vue. Quant aux effets indirects qui les accompagnent sans doute, si leur mesure s’avère beaucoup plus délicate encore, ils sont probablement plus durables.
Références
ACE. (2014). Fish number calculations. [En anglais]
ACE. (2014). Vegetarian recidivism. [En anglais]
Sethu, H. (2011-2013). Counting Animals. [En anglais]
Norwood, L. B. & Lusk, J. L. (2011). Compassion, by the pound: The Economics of Farm Animal Welfare. New York, NY: Oxford University Press USA.
Cooney, N. (2013). Veganomics: The Surprising Science on What Motivates Vegetarians, from the Breakfast Table to the Bedroom. New York, NY: Lantern Books. Voir particulièrement le chapitre 7.